Le paradoxe de la productivité et nous !
La faiblesse de la croissance globale constitue, depuis la crise financière de 2008-2009, la grande préoccupation des responsables politiques, des institutions internationales ainsi que des experts et des économistes. Cette préoccupation est d’autant plus importante que les pays émergents qui ont soutenu la croissance dans l’immédiat après la crise, sont rentrés dans l’ère de la croissance molle et trouvent les plus grandes difficultés à renouer avec la dynamique de la forte croissance qui a été la leur depuis de longues années.
Du coup, la relance de la croissance et la sortie de ce qui est en train de devenir progressivement le « new normal », pour reprendre les termes de Mohamed El-Erian, est au centre des préoccupations et des réflexions. Ainsi, les grandes banques centrales se sont engagées dans des politiques monétaires expansionnistes afin de permettre aux banques de financer l’investissement à moindre coût et d’encourager ainsi les grandes firmes à prendre les risques nécessaires pour sortir l’économie mondiale de sa morosité. Par ailleurs, certains pays ont favorisé des politiques de relance budgétaire afin de dynamiser l’investissement et favoriser dans son sillage une reprise de l’investissement privé. Mais, ces politiques n’ont pas porté leurs fruits et la croissance globale reste désespérément amorphe.
Pour comprendre cette fragilité de la croissance globale, certains se sont intéressés à des facteurs plus structurels en rapport avec les régimes de croissance. Dans ce contexte, la question de la productivité a été examinée et beaucoup ont mis l’accent sur sa régression lors des dernières années par rapport aux années précédentes. Ainsi, la croissance de la productivité du travail aux Etats-Unis a été de moitié moins forte lors de la décennie 2004-2014 que lors de la décennie précédente, ont indiqué “Kemal Dervis” et “Zia Qurecshi” dans une tribune intitulée « Probing the productivity paradox ». Un paradoxe des temps présents, se sont rapidement étonnés les économistes. Car comment expliquer cette faible croissance de la productivité au moment où les nouvelles technologies et le progrès technique sont à leur apogée. Ce paradoxe est d’autant plus important que nous nous sommes habitués dans l’histoire économique à ce que les grandes phases d’innovation technologique s’accompagnent d’une grande progression des gains de productivité du travail et d’une forte croissance économique.
Alors comment expliquer ce paradoxe technologique et comment surtout y faire face ? Plusieurs recherches se sont intéressées à cette question et ont cherché à lui apporter des réponses. Parmi ces travaux on peut citer le programme intitulé « The great paradox of technological change » conduit par la prestigieuse fondation américaine la Brookings et la Fondation Chumir. Plusieurs analyses et rapports ont été publiés dans le cadre de ce programme qui commencent à éclairer ce paradoxe et nous permettent de percevoir les moyens de nous en sortir.
Ces analyses soulignent les travaux de certains économistes qui expliquent que ce paradoxe provient de notre incapacité et de la difficulté de nos outils méthodologiques et particulièrement de nos outils statistiques à saisir l’impact et les effets des nouvelles technologies sur la productivité et la croissance économique. Cette difficulté est liée au fait que ces nouvelles technologies n’ont pas un prix de marché et ne peuvent, par conséquent, être prises en charge dans le calcul de la croissance économique. C’est le cas indiquent, Kemal Dervis et Zia Qureshi, d’une recherche sur le moteur de recherche Google ou sur le réseau social Facebook qui peuvent améliorer l’utilité du consommateur, mais dont l’effet n’est pas comptabilisé du fait de l’absence d’une valeur marchande.
D’autres travaux ont essayé de mettre l’accent sur le fait que les mesures de la productivité sont sous-estimées, ce qui explique cette perception de sa faiblesse par rapport aux années antérieures. Or, si ces difficultés statistiques sont réelles et ont un impact négatif sur la mesure de la productivité, il est admis aujourd’hui que la croissance de la productivité est un phénomène réel et n’est pas simplement une illusion d’optique du fait du retard de nos outils statistiques.
D’autres raisons ont été également évoquées pour expliquer ce paradoxe. On peut notamment souligner la difficulté de transmission des nouvelles technologies et de leur diffusion dans les économies. De son côté, l’ancien Secrétaire au Trésor américain, Larry Summers, a souligné la faiblesse de l’investissement qui a un effet négatif sur la croissance et la productivité du travail. Ce faible niveau de l’investissement peut trouver son explication dans l’insuffisance de la demande qui se nourrit de l’augmentation des inégalités du fait du développement des nouvelles technologies. On peut aussi mentionner l’inadéquation des systèmes de formations ainsi que la rigidité du marché du travail pour comprendre notre incapacité à tirer profit des nouvelles technologies.
Ce débat et le paradoxe de la productivité ne sont pas propres aux pays développés. Notre pays est confronté également à une forte détérioration de la productivité du travail que beaucoup expliquent par le délitement de la discipline de travail après la Révolution. Or, le débat sur le paradoxe de la productivité au niveau international et les résultats publiés montrent la complexité de cette question. En effet, si les nouvelles technologies constituent une importante opportunité, il est clair que ses effets sur la productivité du travail dépendront de beaucoup de facteurs dont sa diffusion dans les autres secteurs, l’existence d’un système de formation adéquat et une plus grande flexibilité du marché du travail.