Plaidoyer pour une politique industrielle !
La politique industrielle est assurément l’une des questions de politique économique qui a le plus été touchée par l’évolution des modes de pensées dans le domaine économique et par les choix de politique économique. Une lecture rapide de l’histoire des politiques économiques lors des quatre dernières décennies nous montre que la place et le rôle des politiques de développement industriel ont évolué au gré des modes et des consensus que le champ a connus. Après des décennies de marginalisation, les politiques industrielles reviennent au centre des débats et deviennent des composantes essentielles des politiques publiques non seulement dans les pays en développement mais également dans les pays développés. Ainsi, des pays comme la France ou même les Etats-Unis, pourtant réfractaire à tout interventionnisme étatique dans le domaine économique, ont mis en place des stratégies industrielles pour appuyer la compétitivité de leurs entreprises. Ce retour en grâce des politiques industrielles tombe à pic au moment où notre pays est en train de mettre en place un nouveau modèle de développement pour faire face aux attentes de la Révolution.
Ce retour au-devant de la scène des politiques industrielles, ne s’est pas fait sans difficultés. Rappelons d’abord que les politiques industrielles ont été au centre des stratégies de développement mises en place dans les années 1960-1970. Elles avaient pour objectif d’aider les pays nouvellement indépendants à sortir de la dépendance des modèles rentiers hérités de la période coloniale et à diversifier les économies. Plusieurs outils ont été mis en place pour réaliser ces objectifs dont une protection tarifaire des industries naissantes, des entreprises publiques dans les secteurs industriels stratégiques, des crédits bancaires bonifiés de la part de banques de développement dont l’objectif est de financer les nouvelles activités.
Or, si ses politiques industrielles ont permis à un grand nombre de pays en développement d’étoffer et de diversifier leurs structures industrielles, elles ont été aussi à l’origine d’un grand nombre de distorsions. En effet, la protection des industries naissantes ainsi que l’accès au crédit ont favorisé des comportements rentiers et n’ont pas aidé les entreprises à améliorer leur compétitivité. Ces comportements ont été à l’origine d’importantes critiques qui ont été adressées à partir de la fin des années 1970 aux politiques industrielles. Mais, c’est la crise de la dette et les programmes d’ajustement structurel qui vont emporter les politiques industrielles.
Les priorités du développement vont changer et l’air du temps sera désormais aux « conditionnalités » des sœurs de Washington, le FMI et la Banque mondiale. Les politiques sectorielles et les préoccupations structurelles n’ont plus la cote et c’est l’avènement de la macroéconomie dans toute sa splendeur où l’accent sera mis sur la sauvegarde des grands équilibres macroéconomiques. Pour ce nouveau consensus en matière de développement, les pays doivent faire confiance au marché qui doit opérer une véritable allocation des ressources vers les activités industrielles pour lesquelles les pays disposent d’avantages comparatifs. Cette période a été marquée par la marginalisation des activités industrielles et n’a pas permis une amélioration de l’insertion des pays en développement dans le commerce mondial. Pire, ce sont les pays qui ont rejeté les recommandations de la Banque mondiale et du FMI, notamment les pays asiatiques, qui ont été en mesure de diversifier leurs structures productives, de devenir de véritables nouvelles puissances industrielles et d’améliorer leur insertion dans le commerce international.
Les limites des programmes d’ajustement et du rôle du marché dans la diversification des économies des pays en développement ont été à l’origine du retour en force des politiques industrielles. Ainsi, un grand nombre de pays en développement notamment le Maroc avec le programme Emergence, le Sénégal et bien d’autres pays ont mis en place de nouvelles stratégies de développement industriel. Mais, il s’agit de stratégies qui se distinguent de celles mises en place dans les années 1970 avec un rôle plus marqué pour le secteur privé et un rôle dynamique des pouvoirs publics dans l’élaboration des grandes stratégies et des priorités et l’accompagnement des entreprises privées dans leur mise en œuvre.
Dans ce contexte, il nous paraît important que notre pays mette en place une nouvelle stratégie de développement industriel. Cette stratégie doit se faire en étroite collaboration entre le secteur privé et les institutions publiques. L’élaboration de cette stratégie doit aussi faire l’objet d’un débat public regroupant les experts et les différents intervenants économiques. Nous devons également prendre connaissance des expériences d’autres pays et prendre des leçons de leurs échecs ainsi que leur réussite. Il nous faut donc lancer un processus participatif de consultations et d’échanges d’expériences qui doit aboutir à l’élaboration d’une stratégie de développement industriel.
Ce nouveau plan de développement industriel doit déterminer trois questions essentielles. La première concerne les fondements et les objectifs de la nouvelle industrialisation de notre pays et qui doit tourner autour du renforcement et de la redynamisation de notre tissu industriel et d’un effort pour améliorer notre présence dans les secteurs à haute valeur ajoutée et dans lesquels nos groupes se sont déjà engagés. La seconde question concerne la définition d’objectifs quantitatifs clairs que nous devons atteindre au terme de ce plan notamment en matière d’emploi, de contribution dans la croissance et de la part du secteur dans la création des richesses. La troisième question essentielle que nous devons trancher concerne les secteurs prioritaires de cette nouvelle industrialisation. A ce niveau, il nous faut aider les secteurs traditionnels, notamment le textile et l’agroalimentaire dans leur transition vers de nouvelles activités à haute valeur ajoutée, mais en même temps appuyer les secteurs émergents dans lesquels nos groupes industriels se sont insérés notamment l’aéronautique, l’automobile et les nouvelles technologies.
Le débat sur la définition d’un nouveau modèle de développement suppose la définition d’une nouvelle stratégie de développement industriel. Nous devons sans plus tarder mettre cette stratégie en place afin d’appuyer notre transition économique et fonder l’émergence de notre économie.