La fin de la mondialisation ?
L’ambiance n’est plus à la « globalisation heureuse » que nous avons connue il y a quelques années et qui espérait trouver dans ce dépassement des frontières nationales des réponses à la crise de l’Etat-nation et des modèles de développement fordiste hérités de la seconde guerre mondiale. En effet, il y a quelque chose de pourri dans le royaume de la globalisation aurait dit Shakespeare ! Et, l’ambiance n’est plus à l’optimisme dans les discours sur la globalisation mais c’est plutôt la morosité et le scepticisme qui l’emportent.
Il s’agit d’une rupture importante dans les discours et les perceptions de la globalisation. Ce discours et ces analyses, faut-il le rappeler, ont connu deux moments forts depuis que ce phénomène a dominé la sphère politique et économique. Le premier moment commence au moment de la chute du mur de Berlin en 1989 et se prolonge jusqu’à la fin du siècle. Il s’agit du moment fort de la globalisation et d’une ode en faveur du village global dans les discours politiques et économiques. La chute des anciennes « patries des travailleurs » devenues depuis longtemps des régimes totalitaires qui piétinent les libertés individuelles, le pluralisme et la démocratie ont été à l’origine d’une victoire et d’une hégémonie du système capitaliste sur les autres formes d’organisation économique et sociale. Ce régime a vu dans la globalisation un moyen de sortir de la crise profonde du régime de l’Etat-nation héritée de la seconde guerre mondiale. L’ouverture des frontières, le développement des échanges, la financiarisation croissante du monde et le développement des nouvelles technologies devaient favoriser l’émergence d’une nouvelle économie monde dominée par les grandes puissances économiques traditionnelles. Ces pays ont mis, par ailleurs, les cadres institutionnels, notamment le G8, pour coordonner leurs politiques économiques et assurer leur hégémonie sur le monde.
Cette première forme de globalisation a fait l’objet d’importantes critiques notamment de la part des pays en développement et surtout d’une nouvelle internationale citoyenne qui exigeait une plus grande ouverture de l’économie monde et surtout une démocratisation des instances de gouvernance mondiale.
Or, le début du siècle va emmener un changement radical et opérer une nouvelle globalisation 2.0. En effet, cette période sera marquée par un changement majeur des rapports de force au niveau international avec l’avènement des pays émergents qui vont devenir de nouvelles forces économiques. Les pays émergents vont enregistrer des dynamiques de croissance sans précédent qui vont s’accompagner d’un changement majeur dans leurs structures économiques pour devenir de nouvelles puissances industrielles. Ces transformations vont leur permettre de devenir de nouvelles puissances commerciales avec la Chine qui va devenir la première puissance commerciale au monde et d’opérer d’importants changements
dans le courant des échanges mondiaux. Cette montée en puissance va se renforcer après la grande crise financière des années 2008-2009 où les émergents vont devenir les nouvelles locomotives de l’économie mondiale et empêcher la transformation de cette crise en une déflation globale comme lors de la grande crise des années 1930. Cette affirmation de la place des émergents dans l’économie mondiale va aussi s’exprimer dans la gouvernance globale avec l’avènement du G20 et d’autres institutions financières internationales dont la Banque des BRICs.
Mais, cette globalisation 2.0 s’est accompagnée de critiques mais cette fois-ci en provenance des pays développés sur le non-respect des pays émergents des normes environnementales et le travail des enfants. Ces critiques annonçaient une phase nouvelle où l’optimisme du passé va laisser place à une certaine morosité voire une défiance par rapport à la globalisation. Cette frilosité s’est traduite par une plus grande difficulté à parvenir à des accords multilatéraux dont les accords sur le climat et la limitation des émissions des gaz à effets de serre qui deviennent de plus en plus laborieux. Par ailleurs, les négociations commerciales et le Doha Round ont été renvoyés aux calendes grecques et les pays se sont engagés dans des négociations commerciales bilatérales pour échapper à la discipline des négociations bilatérales.
La morosité de la globalisation a été renforcée par la crise économique globale qui a été à l’origine d’un affaissement de la croissance globale dont les politiques contra-cycliques mises en place par la plupart des grands pays n’ont pas réussi à lui redonner sa vigueur et son dynamisme d’avant-crise. Cette croissance fragile ou médiocre, pour reprendre les termes de Christine Lagarde la Directrice générale du FMI, a été à l’origine d’une baisse du niveau des échanges qui, depuis le début du siècle, ont été en dessous des rythmes de croissance du PIB.
C’est dans ce contexte morose que les voix ont commencé à se lever contre la globalisation. Les forces politiques populistes et opposés à l’ouverture des frontières, à l’échange et au cosmopolitisme, ont repris des couleurs et ont commencé à remettre en cause de manière virulente les politiques « des élites mondialisées ». Le Brexit et le choix des électeurs britanniques de quitter l’Union européenne n’est qu’un signe de la montée de la défiance des populations contre la globalisation. Cette défiance est d’autant plus importante que la globalisation s’est accompagnée d’une montée des inégalités sociales et d’un approfondissement de la marginalité.
Ainsi, les temps ont beaucoup changé et la « globalisation heureuse » d’hier ne suscite plus l’enthousiasme et l’adhésion. Au contraire c’est le scepticisme et le désenchantement qui règnent aujourd’hui vis-à-vis de la globalisation et ses promesses de dépasser les crises du modèle fordiste et de l’Etat-nation hérités des trente glorieuses post-seconde guerre mondiale. Des difficultés qui mettent de nouveau l’accent sur l’importance et l’urgence de mettre en place un nouveau contrat pour une croissance globale capable d’assurer un développement inclusif et durable capable d’ouvrir une nouvelle expérience historique et de fonder une nouvelle espérance.