Les Roses Fanées Des Printemps Arabes
Les transitions démocratiques dans le monde arabe s'avèrent un processus complexe et difficile. La transition n'est pas un long fleuve tranquille pour reprendre le titre d'un film bien connu. Pourtant il y a des raisons d'espérer….
On nous avait longtemps promis que les transitions politiques de l'autoritarisme vers des régimes politiques démocratiques allaient ouvrir l'ère des printemps arabes. Ce sont mille roses qui devaient fleurir et nourrir les rêves de millions de jeunes chômeurs laissés pour compte et tentés pour un nombre croissant d'entre eux par les perspectives mortifères ouvertes par le business du Jihad.
La conviction des lendemains qui chantent pour les pays du printemps arabe a été justifiée par nombre d'études et de travaux scientifiques des plus savants. En effet, s'il y a eu des interrogations il y a quelques années sur l'impact économique des transitions démocratiques, les nouvelles études montrent qu'il n'y a plus l'ombre d'un doute. Les transitions démocratiques ont un effet positif sur l'économie et le développement. La fin du népotisme et la meilleure gouvernance que les régimes démocratiques prônent encouragent l'investissement et diminuent les peurs et les inquiétudes ayant des effets positifs sur la croissance et l'emploi, et libèrent toutes les énergies que l'autoritarisme avait brimé.
Cependant, persistaient des doutes sur la réussite des transitions démocratiques ainsi que leur durée. Et, là les études sont moins optimistes qu'on ne pense. En effet, une étude de Freund et Jaud publiée en 2013 et qui a étudié 90 expériences de transitions démocratiques entre 1965 et 2005 a montré que moins de la moitié ont réussi, soit 45% et que 15% ont mis beaucoup plus de temps que prévu et que 39% ont échoué. Ces études avaient aussi montré que plus la transition était longue plus ses chances de réussite diminuent mais aussi que les chances de réussite d'une transition s'amenuisaient dès qu'elle dépassait les trois années.
Ces analyses et ces études nous ramènent aux transitions en cours dans les pays arabes et nous invitent à obtempérer notre optimisme. En effet, trois de ces pays, la Syrie, la Lybie et le Yémen, ont sombré dans des guerres civiles d'une rare violence et d'une cruauté sans précédent. L'imbrication des forces locales, régionales et internationales ainsi que l'émergence des groupes terroristes rendent l'issue de ces conflits fratricides pour le moins incertaine.
Les autres pays du printemps arabe, dont la Tunisie, le Maroc, la Jordanie et l'Egypte, connaissent une transition politique des plus difficiles avec l'avènement du terrorisme et les défis de gestion de la transition démocratique avec la recomposition du champ politique ce qui rend les majorités politiques difficiles à trouver et les pays parfois ingouvernables. Des embûches qui montrent que les transitions démocratiques ne sont pas un long fleuve tranquille.
Ces difficultés politiques sont renforcées par les défis économiques et l'incapacité de la plupart de ces pays à sortir de l'incertitude et à avancer dans le processus de transition économique et la mise en place de nouveaux modèles de développement inclusifs et soutenables. Ainsi, les promesses de ces révolutions, notamment en matière d'emploi, d'inclusion sociale et d'équilibre entre les régions, sont-elles restées pour la plupart lettres mortes. La croissance post-révolution reste en dessous des moyennes d'avant, les niveaux du chômage, et particulièrement de celui des jeunes diplômés, sont encore élevés, les investisseurs étrangers sont loin de se bousculer au portillon et les investisseurs internes n'ont pas encore retrouvé l'allant qui était le leur, sans oublier une forte détérioration des grands équilibres macroéconomiques ce qui ne fait qu'accentuer leur fragilité.
Mais, en dépit de la morosité ambiante, il est possible de distinguer deux catégories d'économies entre les pays du printemps arabes. Ceux qui parviennent à reprendre du « poil de la bête » et parviennent à renouer avec la croissance et l'investissement, comme le Maroc et l'Egypte, et ceux qui restent englués dans une croissance molle comme la Tunisie et la Jordanie. La différence des trajectoires et des performances des différents pays s'explique par au moins quatre raisons : la capacité à endiguer les dangers en provenance de l'environnement régional, la reconstruction d'une stabilité politique, la mise en place d'une politique ambitieuse de relance de l'investissement et des grands travaux et la détermination dans la mise en œuvre des réformes économiques.
Certes, les promesses suscitées par les révolutions arabes sont loin d'être tenues et les roses de ces printemps n'ont pas encore donné leur parfum. Leur éclosion passe par la définition d'une ambition d'un nouveau modèle de développement inclusif et soutenable capable de nourrir l'utopie démocratique née de ces cataclysmes révolutionnaires.